Irlande du Nord : 20 ans de paix et de réconciliation ? Conférence organisée par le CRHIA (Centre de recherche en histoire international et atlantique) de l’université de La Rochelle et l’ERIBIA-GREI (Groupe de recherche en études irlandaises) de l’université de Caen Normandie Université de La Rochelle, 16 novembre 2018 Université de Caen Normandie, 29 mars 2019 __________ Jour 1 de la conférence (La Rochelle, 16 novembre 2018) L’année 2018 marque le 20ème anniversaire de l’Accord du Vendredi saint, signé le 10 avril 1998 par les gouvernements britannique et irlandais et la plupart des partis politiques de la province. Les années qui suivirent ont témoigné de la difficulté à rapprocher les communautés unioniste et républicaine et à gérer les conséquences et l’héritage du conflit. Tout récemment, l’incapacité du Sinn Féin et du DUP (Democratic Unionist Party) à restaurer le partage du pouvoir à Stormont a compliqué encore plus la situation politique. Par conséquent, le pouvoir laissé vacant pourrait raviver les tensions dans la région, tandis que le Brexit, qui doit devenir effectif le 31 décembre 2020, pourrait avoir « un effet catastrophique sur le processus de paix » 1. Brian Rowan, dans son ouvrage sur le conflit en Irlande Unfinished Peace (Une paix non achevée), a écrit que « la guerre et la paix dans ce pays ont été, et sont encore, un long parcours d’apprentissage » 2. Il existe un besoin continuel de dialogue, de compréhension, de justice et de réconciliation pour forger un « avenir qui ne doit pas faire écho au passé » 3. Paul Ricœur, dans son œuvre de référence La mémoire, l’histoire et l’oubli, examine les relations entre le souvenir et l’oubli et comment la perception de l’expérience historique et la production du récit historique en sont affectées 4. Cet essai philosophique, ainsi que les travaux de Halbwachs, qui considérait que la mémoire était une pratique sociale créée par la participation à des groupes sociaux 5, fournissent des exemples d’approches qui peuvent aider à construire un cadre afin d’analyser la situation actuelle en Irlande du Nord, qui, à son tour, nous permettra peut-être de comprendre s’il est possible qu’une société paisible et réconciliée puisse, de fait, émerger de la mémoire fracturée du passé. La transition vers cette future Irlande du Nord, si toutefois elle est possible, requerra donc autre chose que des réunions politiques au sommet et des accords. Le rôle de la culture et de celles et ceux qui la produisent aura également une importance primordiale. La culture peut jouer un rôle en fournissant des espaces et des relations non sectaires 6. De nouveaux quartiers, bâtiments et attractions touristiques peuvent jouer un rôle significatif dans la régénération de l’Irlande du Nord par la culture. Le quartier du Titanic à Belfast, qui abrite maintenant le musée du Titanic et devant lequel se trouve la statue « Titanica » de Rowan Gillespie, représentant l’espoir et la pensée positive, n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Le rôle de la culture et de l’art pourra aussi être étudié à travers des expériences telles que le « Theatre of Witness » (théâtre-témoignage), les pièces de dramaturges tels que Marie Jones et Owen McCafferty, les peintures de Colin Davidson et de Rita Duffy, et les œuvres de fiction de Jennifer Johnston ou Glenn Patterson, pour n’en nommer que quelques-uns.
Jour 2 de la conférence (Caen, 29 mars 2019) Vingt ans après les accords de paix signés à Belfast le 10 avril 1998, l’opportunité d’un bilan en Irlande du Nord se justifie par un contexte problématique. Les institutions régionales sont suspendues depuis janvier 2017, et les négociations sur le Brexit ne facilitent pas un accord, d’autant que l’alliance parlementaire entre le Parti conservateur britannique et le Parti unioniste démocrate nord-irlandais (DUP) ne permet plus à Londres de jouer son rôle de médiateur entre le Sinn Féin et le DUP. De surcroît, la question de la frontière irlandaise envenime les relations entre Dublin et Londres. Certaines voix se font entendre, surtout chez les conservateurs anglais, pour remettre en cause l’accord de 1998, dont les limites justifieraient l’abandon. Dès 2003, des émissaires américains comme Richard Haass avaient tenté d’amener les partis politiques nord-irlandais à trouver un terrain d’entente pour résoudre certaines difficultés persistantes dans la région, telles les questions des drapeaux et autres marqueurs de territoire, des défilés, ou encore de la manière d’aborder le passé difficile de l’Irlande du Nord qu’il ne soit plus un facteur de division. On constate que les « murs de la paix » sont toujours dressés à Belfast et que leur démantèlement n’aura pas lieu avant 2023. La rareté des quartiers mixtes et la recrudescence des violences (punishment beatings) d’organisations clandestines contre les auteurs de « comportements antisociaux » montrent aussi que la normalisation de la vie nord-irlandaise n’est que partielle. Ce colloque, organisé en association avec l’Université de La Rochelle qui prend en charge les aspects littéraires, culturels, artistiques et urbanistiques depuis la signature de l’Accord du Vendredi saint, sera l’occasion de porter un regard critique sur la mise en œuvre des accords de paix, depuis la collaboration entre Dublin et Londres jusqu’aux nouvelles configurations politiques en Irlande du Nord, en passant par les évolutions sociales et économiques. Il sera l’occasion de comprendre les raisons de la dégradation apparente de l’entente intercommunautaire depuis 1998, mais aussi d’étudier les initiatives dans le monde économique et professionnel, à l’école, ou encore dans l’espace urbain, qui ouvrent des pistes de réconciliation. Selon Desmond Tutu, qui présida la Commission de la vérité et de la réconciliation en Afrique du Sud, la réconciliation n’est pas un événement, mais un processus. L’Irlande du Nord a-t-elle manqué un moment de « vérité et réconciliation » sur le modèle sud-africain ? Que nous apprennent les comparaisons entre l’Irlande du Nord, l’Afrique du Sud, et d’autres pays en Amérique du Sud ou en Europe de l’Est ?
1 G. Moriarty, Brexit could have ‘catastrophic effect on peace process’, court told, Irish Times, October 4 2016. 2 B. Rowan, Unfinished Peace, Newtownards: Colourpoint Books, 2015, p. 14. 3 H. Morris, quoted in Unfinished Peace, B. Rowan, Colourpoint Books, 2015, p. 164-5. 4 P. Ricoeur, La mémoire, l’histoire et l’oubli, Le Seuil, 2003. 5 M. Halbwachs, On Collective Memory, TheUniversity of Chicago Press, 1992. 6 L. McAtackney, “Remembering the Troubles: Community memorials, memory and identity in post-conflict Northern Ireland”, in Post Celtic Tiger Ireland: Exploring New Cultural Spaces, CSP, 2016.
|
Personnes connectées : 1 | Flux RSS |